Fort heureusement remise de mes émotions d'hier, et ayant eu envie de comparer mon expérience à celle de mes compatriotes (que je salue au passage), j'ai délaissé mon étude de la satire littéraire illustrée par Volpone, de Ben Jonson, pour remplir ma tête de critiques, dénonciations et compliments nettement plus directs qui constituent généralement les bouillons de culture des forums d'immigration.
Après avoir mâchouillé, avalé puis digéré (plus ou moins) ces joyaux de répartie et d'accusations bipôlaires, j'ai fait mon possible pour en dégager les plus courantes (devrais-je dire, les stéréotypes) et vous les rapporter, plus ou moins fidèlement, mon esprit n'ayant à vrai dire pas que ça à faire que de rechercher chaque source pour les citer à la faute d'aurtograffent près.
Le premier mythe que je voudrais dénoncer, en guise d'introduction, est celui du "aaaah le Québec c'est un pays (Marc, arrête de sourire) génial, tout le monde est beau, gentil, accueillant et les paysages sont magnifiques, c'est un vrai paradis sur terre, je le sais même si j'y ai jamais mis un pied". Pour commencer, au risque d'en vexer certains, NON le Québec n'est pas un paradis, aucun endroit sur terre n'est parfait et sûrement pas le Québec. Tous les efforts du gouvernement du Québec, friands d'immigration francophone, aiment à brandir les statistiques sur le chômage et les photos des gens qui vous roulent des pelles dès votre arrivée parce qu'ils adorent les Français, sont un fin stratagème de marketing pour pallier tant bien que mal à l'américanisation galopante de leur province solitaire.
Alors bien sûr, oui, c'est beau le Canada, y a des jolis paysages surtout si on aime la neige (que les frileux s'entassent dans leurs avions les 4 autres mois de l'année où les températures sont clémentes).
Effectivement, il y a moins de chômage qu'en France, surtout pour les Québécois - Français, créez-vous une adresse e-mail en .ca , ça vous facilitera la tâche - et il est plus facile d'occuper un poste "ingrat" et d'échapper au traumatisme social dont vous seriez victime en France, par exemple si vous vendiez des fenêtres par téléphone ou si vous bossiez à mi-temps en temps que marionnette Donald chez Mickey à Marne-la-Vallée.
MAIS ! Et je tiens à le souligner, ce n'est pas parce que vous aimez les Québécois qu'ils vous adorent, eux. Vous avez beau les voir comme de charmants bougres au charme rustique dans leur chalet près d'un lac (un sourire m'échappe) avec un accent tordu mais somme toute assez drôle, ça ne veut pas dire qu'ils vous verront comme un Français super sympa qui se jette corps et âme dans le renouement de vos racines communes. En clair, attendez-vous à des remarques acerbes et racistes de la part de certains, telles que "les Français sont arrogants et savent toujours tout", "les Français sont sales", "les Français nous ont laissé tomber y a des années" et "encore un Français! retourne dans ton ostie de pays et crisse-nous la paix". Bien entendu, ce n'est pas une tendance globale, loin s'en faut, et nombreux sont les Québécois qui vous verront comme un être humain tout ce qu'il y a de plus normal. Mais gare aux idées reçues quant à leur soi-disant amour inconditionnel des Français.
Deuxièmement, c'est l'Amérique ici. On ne peut pas vivre que de poutine et de sirop d'érable, et pour le reste, même si l'immigration Française a forcé l'installation du camembert et de la baguette dans les moeurs, ça reste un peu trop près du film d'horreur à mon goût. Sur les étalages se côtoient chimique et dégueulasse, entre le Cheese Whiz, les Kraft Dinners, le Kool Aid et les sirops de sucre Aunt Jemima. Il reste possible de manger correctement, mais faut faire un minimum attention (et gaffe aux OGM dont l'étiquetage n'est pas obligatoire, sauf en Colombie Britannique).
Troisièmement : les hivers... je suis moi aussi partie en me disant "bah, ça doit pas être si terrible, ils n'en meurent pas que je sache, on doit s'habituer". Tu parles. Plus ça va, pire c'est. Bien loin de s'accoutumer à ce nouveau climat, les immigrés Français (tout autant que les Québécois) se découragent rapidement des hivers interminables. Mais revenons-en aux faits sociologiques.
Quatrièmement : ce pays en apparence pacifiste est déchiré d'une multitude de guerres intérieures, à savoir :
-Anglophones contre Francophones, et plus spécifiquement
-Québécois contre Ontarois
-Montréal contre la ville de Québec
-Montréal contre Longueuil
-Montréal contre Laval
-le Québec contre les Américains
-le reste du Canada contre les Américains (auxquels ils ressemblent tellement)
-la première fournée d'immigrés (la majorité, pour parler crument) contre les Indiens
-l'Ouest de l'île contre l'Est
-et je pourrais en rajouter des pages et des pages.
Cinquièmement, les gens sont disciplinés ici. Ils font la queue pour prendre le bus au lieu de s'amasser en un conglomérat informe. On dirait une ligne de fourmis, c'est très surprenant la première fois. Ils ne crient pas et s'énervent rarement. Quand ils le font, ils passent pour des déséquilibrés. Notre chance c'est qu'en tant que Français on a une réputation de râleurs et comme on fait ça très bien, ça les intimide car ils n'ont pas l'habitude qu'on leur gueule après, et on a plus de chances d'obtenir ce qu'on veut.
Sixièmement, n'oubliez jamais que vous arrivez chez Garou et Céline Dion.
Septièmement, faites gaffe à ne pas vous faire voir comme un "connard qui a de la merde dans les yeux" par nos compatriotes épris de cette belle province, ni comme un "ostie de Francais ingrat" par son homologue québécois si vous avez le malheur de confier à la mauvaise personne que Montréal n'est pas parfaite. Si vous mourez d'envie de dire que Paris, c'est mieux, trouvez d'abord quelqu'un qui sera d'accord avec vous et vous pourrez en discuter à loisir.
Huitièmement, les Québécois ont une fâcheuse tendance au tutoiement. Je dis fâcheuse, mais il y en a sûrement certains à qui ça plaît. En revanche moi à mon âge, ça me froisse un peu qu'une caissière me dise "salut, comment tu vas" alors qu'on n'a pas gardé les vaches ensemble... mais c'est l'affaire de chacun!
Certains disent qu'il est difficile de se faire des amis. Je ne croule pas sous les amitiés éternelles mais faut avouer que je n'ai pas non plus fait tout ce qu'il fallait pour. Je pense néanmoins avoir réussi plus ou moins à me hisser dans une position pas trop inconfortable socialement.
Enfin n'oublions pas que même si certains vous rappellent que vous n'êtes pas chez vous ici, rien ne vous empêche de vous y sentir bien et à votre place si vous faites un minimum d'efforts pour faire votre trou. Oubliez votre illusion que tout vous tombera tout cuit dans le bec et vous aurez déjà fait une partie du travail d'intégration.
Je me réserve le droit de modifier/compléter cet article dans le futur. Je compte aussi faire un petit lexique non-exhaustif pour pouvoir communiquer aisément avec les indigènes sans risquer la gaffe, l'insulte (ou au contraire pour les insulter "couleur locale" si ça vous chante) ou l'incompréhension la plus totale. Restez branchés!
Lizipoo